Samy Benammar

March’s #MainArtist du mois de mars, Samy Benammar shares his thoughts on the colonialist gaze cast on the Maghreb by western cinema over the last century, as well as his own view of a brief moment and a lasting place.

Samy Benammar is a Montreal-based artist and film critic. His work as a writer and filmmaker has developed as a form of experimentation around socio-political issues inherited from his Algerian and working-class origins. His films include kaua’i’o’o (2023), peugeot pulmonaire (2021) and sous-ex (2022). They have been shown in festivals across Canada and abroad, and are distributed by Winnipeg Film Group, Vidéographe and CFMDC. His writings can be read in magazines such as Hors Champs, 24 images and Panorama cinéma. He is also conducting a PhD in research and creation focusing on the Wilaya of Batna, Algeria, and colonial photography.
He listens to the bleating of the goat. No matter how domesticated, they remain unpredictable, and resist docility.
Samy is also a Main Film Active Member since November 2023.

Filmography:
  • kauaʻi ʻōʻō | 2023 | HD | Color | Stereo | 3min
  • Colosse | 2022 | HD | Color | Stereo | 20min
  • Sous-ex | 2022 | HD | Color | Stereo | 7min
  • Peugeot pulmonaire | 2021 | HD | Color | Stereo | 23min
  • Nana | 2017 | HD | Color | Stereo | 3min
  • adieu ougarit | in development
  • Avant seriana | in development

Sounds Like a Dream – Quelques images vaines d’un Maghreb

Published in 24 Images magazine number 205 “Incontournables ? Repenser le canon” in December 2022

❝ C’est la voix d’un enfant qui rend ces mots si violents. Il dit à son père : «Marrakesh… sounds like a dream.» Puis, alors que James Stewart vient de lui répondre «It sure does», le garçon traverse l’allée centrale de l’autocar, trébuche à cause d’une secousse et, essayant de se rattraper, arrache le voile d’une femme marocaine. Son mari furieux prend violemment à partie l’enfant puis la famille tout entière, hurlant dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Au rêve d’un ailleurs fantasmé dans les paroles fébriles de la jeunesse succède immédiatement la vio- lence d’une altercation et la caricature d’un étranger musulman dont les règles absurdes ne laissent place à aucune empathie.

La scène d’introduction de The Man Who Knew Too Much (1956) nous confronte à une image ambivalente du Maghreb pris entre dépaysement orientaliste et danger d’un autre aux rites et cou- tumes non seulement éloignées mais moralement discutables. En déplaçant le début du remake de son propre film de 1934 au Maroc, Hitchcock ajoute une tension dramatique à un thriller où l’assassinat du premier ministre, que s’évertuera à déjouer le personnage de Jo McKenna, devient une réflexion sur les crises internationales d’un monde coincé entre guerre froide, impérialisme américain et grands mouvements d’indépendance dans les colonies. C’est donc sciemment que le cinéaste britannique entreprend de tourner sur un territoire alors secoué par des montées révolutionnaires qui aboutiront à l’indépendance en mars 1956, soit un mois avant la première du film au Festival de Cannes. Bien que l’orientalisme soit nuancé par la critique adressée aux grands empires occidentaux à travers l’exagération de la condescendance coloniale des McKenna, il reste difficile de nier l’instrumentalisation des enjeux politiques d’un pays et l’exploitation de cet espace pour les biens d’une intrigue. The Man Who Knew Too Much fait du Maroc un motif, le moteur désincarné d’un questionnement externe au lieu de l’action.

Déjà, la critique m’épuise. Il faudrait répéter les mêmes mots, souligner chaque trahison des espaces, chaque caricature, chaque mensonge, chaque regard unidirectionnel qui raconte l’ailleurs sans jamais lui accorder le droit de parole. Le cinéma est l’écho d’une domination, l’arrivée d’un train qui traverse les déserts, scinde les corps pour connecter les lieux. Le long du chemin de fer, conquête de l’Ouest et de l’oued, les rails métalliques découpent, tracent les lignes de fuite qui capturent, emprisonnent l’Orient au sein d’une composition qui accommode l’œil.

Alors je défais le mythe d’une caméra survolant la ville des Hommes qui n’en savaient pas assez. Pour guérir, il faudra :

  1. Rendre corps à l’image – se l’approprier, peut-être vainement
  2. Retracer les lignes à la main – on ne répare pas un mensonge par un autre
  3. Reconnaître que les morts ne ressuscitent pas – la nécessité de la guérison naît de son impossibilité.

 

Le plan de la ville coupe à l’hôtel.
Le Maghreb est une romance tumultueuse, le berceau érotique des révolutions et des trafiquants, plaque tournante des tourments du monde civilisé.
sur la toile sans fond

spectacle des mille et une nuits
un assassin se glisse dans le night-club

une amante sous les draps de satin achetés
au cœur du marché grouillant

here’s looking at you kid

Dans les coulisses de Casablanca (1942), une centaine de lieux s’implantent au Maghreb. Le Rick’s Café Américain, bien sûr, mais aussi toutes ces petites bâtisses en brique que l’on identifie très vite. Dans le village de Seriana, où ont grandi mes parents, je marche le long des rues à la recherche des traces laissées par l’histoire. Elles n’ont rien d’un lumineux night-club où se jouerait une trépidante intrigue policière, mais leur structure est étrangère : dans la pierre rectiligne sont inscrits l’ordre et la domination.

Je me demande quand la porte a été peinte en bleu.

J’essaye.

J’amalgame les espaces, dans la fiction d’un territoire, j’injecte quelques images glanées dans les montagnes que le cinéma a dérobées cent fois.

Le doute ne disparaît jamais, il me murmure que je n’ai déjà plus les yeux pour voir clair, que mon imaginaire tout entier s’est construit sur les mêmes fondations bancales de Pathé et Gaumont, de Hollywood et de la mitraille des 24 images. Ma première erreur évidente est d’assimiler le Maroc et l’Algérie, de ne pas distinguer les frontières spatiales, culturelles, historiques, d’admettre qu’un Maghreb existe.

Au cinéma, un lieu peut en devenir un autre comme dans The Passenger (1975) où Antonioni filme le désert algérien pour figurer le Tchad.

À la sortie de Biskra, une mosquée attire mon attention. Autour, les roches et quelques palmiers gigantesques enserrent l’horizon. J’ai chaud, je scrute, m’accorde une seule photographie. Dans la vérité que j’essaye de saisir survit le mensonge de mon ignorance. Comme Jack Nicholson, je prétends avoir le droit de garder les récits dans ma caméra, je capture le pays de mes parents, j’y glisse le sens que je veux bien lui accorder.

Demain, il faudra lever les bras au ciel, deviner un héritage gravé dans les sillons de la roche
ou prendre le temps de revenir, d’écouter le désert.

En attendant, les opérateurs caméra dénudés naviguent les dunes. La première colonisation du cinéma, ce n’est pas de caricaturer l’Orient en un ennemi sans visage, c’est d’en faire un plateau gigantesque, le studio fantasque où vaut davantage le génie d’un dispositif, d’une caméra montée sur un rail (encore un) pour traverser la grille de la chambre que les habitants qui se résument à une cohue de corps. Quand la caméra reviendra dans la pièce, elle révélera la seule mort qui compte : celle du journaliste Locke tout juste assassiné.

Le sauveur est tombé, comme Desdémone poignardée par Othello.

L’origine d’Othello reste obscure. Le terme «Maure» employé par Shakespeare est une appellation coloniale qui a désigné plusieurs ethnies dans différents contextes. Tantôt, il désigne les Amazighs (Berbères dans le langage commun occidental), tantôt les musulmans envahissant l’Espagne.

L’étranger n’est jamais rien

qu’un étranger.

En 1832, la France entame le développement du Jardin d’essai, un immense espace de recherches botaniques dont l’objectif est de profiter du climat algérien pour développer une culture de plantes tropicales qui permettrait, à terme, de diminuer les coûts liés à la logistique d’importation de certains produits vers la métropole. Un siècle d’exploitation agricole et humaine construit, feuille par feuille, une forêt gargantuesque en plein cœur d’Alger. Lorsque W. S. Van Dyke entreprend une adaptation de Tarzan au début des années 1930, il choisit d’utiliser le jardin comme décor. Aujourd’hui, l’espace reste l’une des attractions touristiques privilégiées de la capitale. De nombreuses pancartes indiquent ainsi la direction du fameux «arbre de Tarzan».

Mes souvenirs sont flous mais maman dit toujours qu’enfant, je n’avais d’yeux que pour Robin des bois et Tarzan.

Le voleur et le sauvage.

J’aimerais défigurer les mythes. Pourtant, je me suis construit à travers eux.

Adolescent, je découvre de nuit un documentaire qui participera grandement à la décision que je prendrai bientôt de faire un peu de cinéma. Dans Le ciel en bataille (2010), Rachid B. projette dans la figure de Tarzan la réalisation de son homosexualité. Dans la continuité d’un Oscar Wilde ou d’un André Gide, il dit sa fascination pour ce corps-objet à l’orientalisme branlant de liane en liane : «Tarzan, je te dois cet aveu: depuis l’enfance, tu es mon icône de chair. Gamin, je tentais de suivre sagement les lignes de ton corps dans mes albums à colorier. Lignes noires sur des pages blanches. Je mettais en couleur ta masse de chair, tes combats contre les animaux dont tu sortais toujours vainqueur.

Sauvage et libre.

Page après page, je te retrouvais et, petit à petit, sans le savoir dans ma naïveté d’enfant, je construisais, à travers toi, la silhouette, l’icône rêvée et obsédante que, devenu adulte, j’ai cherchée des nuits entières entre les immeubles dressés, pointés vers un ciel de nuit toujours illuminé de Paris et de New York.»

Mes repères identitaires sont
les chimères d’un lointain où je ne suis plus.

Sur ma photographie du Jardin d’essai, on aperçoit le Monument aux martyrs érigé en 1982. Il surplombe la jungle où Tarzan continue de régner en maître de l’Orient.

Le sauvage blanc est un héros.

Je pourrais énumérer sans fin les figures de l’Orient, cet espace qui s’est fait trop souvent décor d’une quête, studio de tournage. Je pourrais discuter une énième fois de l’ambiguïté de la figure de Lawrence, son regard décontenancé, et le cadavre au bord de l’écran, écho des massacres coloniaux et des luttes fratricides qui bombardent encore les déserts.

En esthétisant la réflexion, j’ai peur que mon commentaire, lui aussi, fasse de la violence bien réelle un scénario alambiqué. En mêlant une discussion artistique à une trajectoire intime, je risque également de répéter la quête du héros blessé contraint, aux côtés de l’Alliance rebelle, de sauver la galaxie d’un Empire despotique.

La blessure est plus profonde que la surface du récit. Déconstruire les images, ce n’est pas seulement égratigner leur surface mais considérer la structure même. La question n’est plus alors celle du territoire en jeu ou des ressources exploitées, mais celle de la narration qui construit une idéologie. Dans ces histoires, il s’agira toujours du messie venant en aide au désespoir de l’Orient. Hier encore, Denis Villeneuve reproduisait la même illusion. Souvent, je me demande à quoi bon: «Les voilà qui se mettent à rire ; ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.»

Parce qu’il n’est pas simplement question de la couleur de la peau de tel ou tel bienfaiteur intergalactique, mais de sa nature propre. Une révolution ne repose pas sur les épaules d’un individu, elle est collective, sociale, plurielle, éclatée et contradictoire. Tant que nous répèterons les tropes d’hier, il n’y aura ni contrepouvoir ni guérison possible.

Alors, je colle des espaces qui ne communiquent pas, trace des lignes de force pour fuir le discours et préserver le silence.

J’ai toujours préféré aux images signifiantes

celles qui espèrent.

Watch Adhan de Samy Benammar published on Zoom Out

Samy Benammar

#MAINARTIST

Our organization is an artist-run center committed to supporting its community as a whole, without distinction.

Beyond the simple declarations of solidarity against racism following the events of the summer of 2020, but also against more recent racist acts and those that persist historically, it seemed essential to us to offer a place to our members so that they can express their feelings in the face of the discrimination they experience and which could be based on the color of their skin, their origins, their sexual orientation, their gender or a handicap.

We invite them to share their thoughts on this societal drama that constitutes all forms of rejection of the other.

Main Film is an artist-run center committed to supporting its community as a whole, without distinction, in the creation of independent film.

Our 23rd contributing artist is Samy Benammar.

#MainArtist #ArtisteImportant

Because it is artists who carry both the role of representing society and making it evolve.